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Fiscalité
Édito

Cession d’usufruit de parts sociales : une soudaine percée dans les nuages !

Est-ce qu’on cède des parts sociales, quand on n’en cède que l’usufruit ?

C’est à cette question que la Cour de cassation a répondu par un tout récent arrêt, en date du 30.11.2022, tranchant un aspect jamais été soulevé jusqu’à présent.

Cette décision apparaît donc comme une percée soudaine et inattendue, dans un ciel chargé de nuages :

La cession de l’usufruit de parts sociales déclenche-t-elle les droits d’enregistrement applicables aux cessions de droits sociaux ?

 

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Jusqu’à présent, la pratique s’accordait à penser que ces droits de mutation s’appliquait de manière large. C’est à dire autant quand la vente portait sur la propriété des titres, que lorsqu’elle ne visait que des droits démembrés (usufruit, nue-propriété, DRJS).

C’est d’ailleurs la position qu’avait retenu la cour d’appel de Paris dans sa décision du 29 juin 2020, pour donner raison à l’administration fiscale.

Dans le cadre d’une proposition de rectification, elle avait épinglé des contribuables qui, adoptant une lecture plus stricte des textes, avaient considéré que seule la vente en propriété est concernée par les droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Dès lors, n’ayant cédé que l’usufruit de leurs parts à une autre société, ils avaient estimé ne pas en être redevables. Ils s’étaient donc contentés d’acquitter un droit fixe, beaucoup moins élevé.

Droit proportionnel de 5% du prix, versus droit fixe de 125 € !

L’enjeu peut donc être de taille, notamment en présence de sociétés à prépondérance immobilière.

Rappelons que sont ainsi qualifiées toutes les structures dont  l’actif brut total, détenu directement ou non, est constitué pour plus de 50% d’immeubles situés en France. Pour procéder à l’enregistrement des ventes opérées sur les titres de telles sociétés, l’article 726, I-2° du Code général des impôts prévoit l’application d’un taux proportionnel, fixé à 5% du prix de cession.

En fonction de la valorisation des titres, le différentiel d’impôt peut donc être assez massif !

Et ce, même si la vente ne porte pas sur la propriété des titres, mais seulement sur un usufruit : car on le sait bien à présent, la valeur retenue dans l’acte pour exprimer le prix de l’usufruit doit être déterminée avec soin, en approchant au plus juste la valeur économique actualisée de tous les revenus distribuables que représente, sur la durée envisagée, ce droit d’usufruit.

 

 

Dans le cas présent, et contrairement à ce qui est plus fréquemment observé, l'administration fiscale ne contestait pas la méthode d'évaluation de l'usufruit, mais le calcul des droits d'enregistrement s'appliquant à cette évaluation.

Ici, les contribuables ayant cédé seulement l’usufruit temporaire de leurs parts, ont décidé de n’acquitter que le droit fixe de 125 €.

La cour d’appel approuva le Trésor public de procéder à un redressement, considérant que la cession devait bien se voir soumise au droit d’enregistrement proportionnel de 5 % : le terme « cession » prévu à l’article 726 du CGI s’entendant de toute transmission temporaire ou définitive de la part sociale elle-même ou de son démembrement, puisque le texte ne distingue pas.

En outre, selon elle, en se dépossédant de l’usufruit des titres, les associés avaient perdu leur droit aux dividendes et le droit de vote afférent aux parts sociales concernées, ce qui confirmait à ses yeux la réalité d’une mutation, susceptible de déclencher le droit de mutation proportionnel.

Verdict contraire et inédit de la Cour de cassation !
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Celle-ci annule la décision de la cour d’appel, et donne raison aux contribuables.

En effet, elle prend soin de rappeler la teneur de l’article 578 du code civil, qui dispose que l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance.

 

Première raison pour dire qu'il n'y a PAS mutation de parts sociales

D’autre part, la Haute Cour se fait un plaisir de rappeler la jurisprudence marquante qu’elle a inauguré cette année, depuis son arrêt du 16.2.2022, aux termes duquel elle avait enfin tranché de manière implacable la vieille controverse sur la qualité d’associé, revêtue ou non par celui qui n’est qu’usufruitier de titres.

Acquérir l’usufruit de titres sociaux ne permet pas d’acquérir la qualité d’associé

Renvoyant donc le Fisc à la lecture de son Bulletin, la Cour suprême rappelle que l’usufruitier de droits sociaux n’ayant pas la qualité d’associé, la cession de l’usufruit de ces titres ne peut pas emporter mutation de droits sociaux.

Le syllogisme étant bouclé, elle juge qu’une telle cession d’usufruit à durée déterminée n’est pas soumise au droit d’enregistrement, applicable aux cessions de droits sociaux.

Quelle portée pour cet arrêt ?

Elle nous semble large et générale

c’est à dire qu’elle s’appliquera selon nous à toute cession de droits démembrés sur des titres sociaux, qu’il s’agisse de société à prépondérance immobilière ou non. Dès lors, ce qui est vrai pour les DMTO de 5% concernant ces dernières, sera vrai a fortiori pour les DMTO de 3% concernant les parts sociales des autres sociétés, comme aux DMTO de 0,1% relatifs aux cessions d’actions.

Certes, le schéma se rencontrera beaucoup plus souvent en présence de sociétés à prépondérance immobilière, puisqu’il est généralement mis en place pour maîtriser l’imposition des revenus fonciers.

Le tout bien sûr, jusqu’à ce qu’un jour le législateur apporte éventuellement une modification du texte en y rajoutant le cas des cessions de droits démembrés…

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