Achat d’une maison auto-construite détenue en SCI : « share deal » ou « asset deal » ?
Publié le 20/05/2024
(photo : lesoir.be)
La maison de mes rêves !
Atypique, stylée, bien conçue… j’achète !
Mais j’achète quoi au juste ?
…Car mon vendeur m’explique que ce bien immobilier appartient en réalité à une société civile (SC), et que lui-même et sa famille détiennent les parts composant le capital de cette société.
Il me propose donc, plutôt que d’acheter les murs, d’acheter carrément toute l’enveloppe, en me vendant toutes les parts de la SC.
Vu que la société ne détient que ce bien, qu’elle est fiscalement translucide et n’est aucunement soumise à l’IS (impôt sur les sociétés), cela reviendra au même pour moi.
Et par ailleurs, mes frais d’acquisition seront un peu moins élevés. Même pas besoin de faire appel à un notaire, d’ailleurs.
Quant à lui, il m’explique que c’est plus avantageux dans son cas, pour des raisons d’impôt de plus-value.
Si pour le vendeur, la vente des titres plutôt que du bien peut parfois, selon le cas, présenter des avantages au niveau de son impôt de plus-values (selon la durée de détention des titres / Vs la durée de détention de l’immeuble par la structure), cela ne doit pas exclure l’audit sérieux que je dois mener, en tant qu’acquéreur.
Pourquoi ?
Quelles sont les conséquences quand j’acquière les titres d’une société (le contenant), plutôt que son bien (le contenu) ?
Tout simplement, acheter les titres me rend associé, et donc me fait endosser tout l’historique de la société.
Qu’est-ce que c’est que ça, un vendeur « castor » ??
C’est le vendeur qui a auto construit, ou en tous cas réalisé lui-même certains agencements importants de son local : chaudière, installation électrique ou de plomberie, fenêtres de toit, insert de cheminée, etc, etc..
Bref, le bricoleur qui sait tout faire.
(image : edoo.id)
Et c’est là que ça change tout :
à hauteur des travaux qu’il a réalisés, ce vendeur, même si c’est un particulier simplement passionné de bricolage, est considéré comme un professionnel.
Cela signifie que pour ces travaux, il lui est impossible de s’affranchir de la garantie légale couvrant les vices cachés (article 1643 du Code civil). Toute clause contraire dans l’acte serait tout simplement écartée, et réputée non écrite.
Donc, si un jour l’installation révèle des vices, dans le délai de 10 ans suivant son installation, il devra en répondre personnellement ; et gare s’il n’est pas assuré..
En quoi ça me concerne en tant qu'acquéreur ?
Justement.
Le vendeur ne vous a pas vendu un bien immobilier, mais des parts.
Et vous, en procédant par « share deal » (= en achetant les parts), c’est comme si vous aviez revêtu la combinaison du vendeur, telle une seconde peau.
Ce qui signifie que si vous décidez à votre tour de revendre la maison, en droit c’est la SC qui revendra, puisque juridiquement c’est elle la propriétaire.
Or c’est ELLE qui aura la qualité de vendeur-castor.
Ceci parce que ce sera, à cette occasion, la 1ère fois que l’immeuble sera revendu, depuis les travaux d’installation / aménagement.
Donc, impossible à ce moment là, de s’exonérer de la garantie des vices cachés.
Par exemple, si votre acquéreur subit un incendie parce que l’insert de cheminée était défectueux, c’est vous qui assumerez.
Bonne remarque.
Car il est exact que sur cette question de la charge de la preuve, c’est au vendeur de prouver que ce n’est pas lui le réalisateur des travaux. La preuve contraire n’incombe pas à l’acquéreur.
La Cour de cassation l’a en effet très clairement exposé dans un arrêt du 15 février 2024.
Mais attention.
Cela ne doit pas faire oublier un autre arrêt rendu par la même Cour le 19 octobre 2023.
Dans celui-ci, elle avait précisé que si la SC était à l’origine maître de l’ouvrage (= les travaux ont été réalisés alors que c’est elle la propriétaire), et que les travaux ont été réalisés par elle-même (= ses associés ou l’un d’eux), alors c’est elle le « castor ».
Et donc, elle reste tenue des conséquences, même si entretemps le capital a complètement changé de mains…
Dès lors, un peu comme les acquéreurs d’une société opérationnelle mènent toute une série de « due diligences » (audits) très poussées avant d’en acquérir les actions, acheter les parts d’une SC devrait nécessiter plus de vérifications encore que lorsqu’on acquiert l’immeuble.
Et de bonnes questions posées au vendeur des titres.
De quoi songer à s’appuyer sur les spécialistes d’un pôle dédié au droit des sociétés, couplé le cas échéant à ceux d’un pôle rompu aux transactions immobilières. A projet hybride, conjonction des expertises !