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Droit des sociétés
Brève

Résolution d’un bail commercial : préjudice réel, ou juridisme tatillon ?

Les cours d’appel font de la résistance !

En effet, nous assistons à une analyse tout à fait divergente entre la Cour de cassation et les cours d’appel de Versailles ou de Paris, sur la gravité d’un manquement commis par le bailleur en matière de baux commerciaux.

Tout commence par la conclusion d’un bail commercial, consenti sur des locaux situés dans une zone d’exposition aux risques naturels et technologiques, ce qui oblige le bailleur à fournir à son locataire (avant la signature du bail de manière à pouvoir l’y annexer) un état de ces risques, datant de moins de 6 mois (art. L.125-5 II Code de l’environnement).

En l’occurrence, le bailleur avait rempli cette formalité, mais l’état des risques qu’il avait fourni, à quelques jours près, était âgé de plus de six mois. Personne ne souleva rien à l’époque.

Quelques temps plus tard, le locataire ne payant plus ses loyers, le bailleur entame des poursuites à son encontre.

En justice, le locataire se défend en s’appuyant sur l’omission de cet état des risques, et en tire motif pour réclamer la résolution du bail.
Arme mortelle s’il en est, puisque cette résolution, si elle est prononcée, signifie la disparition rétroactive du contrat et des relations juridiques qu’il nouait, donc le remboursement par le bailleur des les loyers perçus !

Face à une telle sanction (qui serait un peu au contrat irrégulier en la forme l’équivalent de ce que serait la démolition obligatoire à cause d’un pouillème sur le permis de construire), la Cour de cassation prône la mesure, et impose qu’un réel préjudice soit démontré par le locataire, avant de fusiller de la sorte le bailleur.

C’est ce qu’elle avait énoncé dans son arrêt du 10 septembre 2020 (Cass. Civ. 3e, 10-9-2020, pourvoi n° 19-13.760), par lequel elle avait cassé la décision précédemment rendue en 2019 par la cour d’appel de Versailles, laquelle avait décidé de prononcer la résolution sèche. Les juges de cassation, eux, ont considéré qu’une telle sanction ne pouvait se concevoir que si un manquement d’une particulière gravité était démontré, ou un préjudice subi par le locataire du fait de cet état des risques trop ancien, chose qui ici n’était pas établie. Ils avaient donc renvoyé devant une autre cour d’appel, celle de Paris, pour trancher cet aspect.

Chose rarissime, au lieu de rechercher des éléments sur ce fondement, comme préconisé par la Haute cour, les seconds juges d’appel ont repris mot pour mot, dans un arrêt du 2 février 2022, les termes de leurs collègues versaillais, considérant que le simple fait de ne pas fournir un état des risques daté de moins de 6 mois suffisait à justifier la résolution, sans qu’il soit besoin de rechercher autre chose, en vertu de la lettre de l’article L.125-5 V du même Code.
Reste à savoir, si le bailleur initie un nouveau pourvoi, ce que la Cour de cassation décidera, cette fois en dernier ressort.
Quoi qu’il en soit, soyons toujours les plus attentifs possibles sur les détails de ces innombrables formalités, dont on sait que le diable s’y cache !