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Les familles et leur patrimoine
culture juridique pour tous

J’aide au quotidien un proche : puis-je être tenu de rembourser les aides qu’il a perçues ?

Rapports complexes entre aides sociales handicap et héritages.

On sait que lorsqu’une personne est dans le besoin, et ne peut faire face à ses dépenses de bases, en raison de son âge, d’un handicap, d’une précarité économique… ses proches (descendants, ascendants) ont l’obligation, s’ils en ont les moyens, de l’aider à y subvenir.

C’est ce qu’on appelle l’obligation alimentaire. Elle s’applique à tout âge.

Mais lorsque la personne est isolée, ou que ses proches sont eux-mêmes sans ressources suffisantes ?

C’est alors la solidarité nationale qui se met en branle.

Des aides publiques vont être versées, pour permettre d’assumer les dépenses minimales.

 

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Ce versement d’aides est-il définitif ? Ou un remboursement est-il un jour à prévoir ?

Cela dépend des cas.

En principe oui, si la personne bénéficiaire laisse finalement un patrimoine à ses proches.

Car on considère que ce patrimoine constituait des ressources ; et comme l’aide versée par le contribuable ne doit être que subsidiaire (versée faute d’autres solutions), elle doit pouvoir être récupérée si la personne fragile s’avère finalement dotée de certains avoirs.

Mais en réalité, les règles sont disparates.

Elles changent selon :

  • le type d’allocations (elles sont très variées),
  • le périmètre du patrimoine de l’intéressé,
  • le profil de ses proches.

C’est-à-dire ?

Par exemple, lorsque le bénéficiaire d’aides sociales décède en laissant un patrimoine à recueillir : la collectivité peut alors, dans certains cas, récupérer sur ce patrimoine tout ou partie du montant des aides qu’elle avait avancées.

C’est l’article 132-8 du Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF) qui prévoit cette récupération sur les héritages, mais aussi en cas de donations, voire, depuis 2016, sur les assurances-vie souscrites au delà d’un certain âge (70 ans).

Ce sera notamment le cas pour l’allocation d’aide à l’hébergement en établissement des personnes handicapées, dont nous allons reparler plus bas.

Attention,

toutes les aides ne relèvent pas du CASF, c’est-à-dire des allocations versées par l’Etat ou le Département.

D’autres sont versées par les caisses de retraite. Elles relèvent d’un autre régime, qui lui, découle du Code de la Sécurité Sociale (CSS). Ce qui rajoute au caractère hétérogène des règles applicables.

Mais si je suis concerné, puis-je être dispensé de cette récupération dans certains cas ?

Oui, justement. Pour les aides réservées aux personnes handicapées (à bien distinguer de celles versées aux personnes âgées), des exceptions sont prévues.

Prenons le cas de l’aide à l’hébergement en établissement des personnes handicapées, évoquée ci-dessus.

Si je suis le conjoint de l’allocataire décédé, ou l’un de ses enfants, ou encore son père, ou sa mère, en raison de cette qualité je serai dispensé(e) de supporter le remboursement.

 

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(photo : Handicap International)

Mais si je suis un autre héritier, le frère ou la sœur du défunt par exemple ?

C’est vrai que si le défunt ne laisse ni enfants, ni conjoints, ses frères et sœurs peuvent alors être appelés à recueillir son héritage, de par la loi.  Or, ils ne font pas partie de ceux qui étaient tenus de fournir l’aide alimentaire.

Je peux même recueillir tout ou partie de l’héritage sans avoir de lien de parenté.

Par exemple en tant qu’ami proche, compagne ou compagnon, à qui l’allocataire aura consenti un legs par testament.

Là encore, et à plus forte raison, je n’étais tenu par aucun devoir alimentaire.

L’héritage sera-t-il malgré tout amputé du remboursement ?

En principe oui, sauf un cas.

Et ici, le critère de dispense n'est plus la qualité de la personne, son lien de parenté ; mais l'attitude qu'elle a eue à l'égard du bénéficiaire handicapé.

Cette fois, c’est l’article L. 344-5, 2° du CASF qui donne la clé des champs.

En effet, dans une hypothèse où l’héritier ne dispose pas d’une dispense de plein droit (parce que son lien de parenté est trop éloigné voire absent), il peut néanmoins revendiquer une exonération en raison du dévouement spécifique dont il aura fait preuve à l’égard de la personne handicapée.

Une sorte de prime à l’aidant, donc ?

Oui : s’il démontre qu’il s’est particulièrement investi auprès de l’allocataire, un héritier de rang moins direct (frère, neveu, cousin, oncle, etc…), pourra demander à être lui aussi dégagé de la récupération d’aide sociale. Et de même pour une personne sans aucun lien de famille, appelée à la succession après avoir été couchée sur le testament.

Il y a donc une remise particulière faite à celui ou celle qui, du vivant de la personne handicapée, a démontré un dévouement particulier auprès d’elle.

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Mais comment témoigne-t-on de ce dévouement marqué ? Comment peut-il être démontré ?

C’est tout le sujet !

Pour l’héritier confronté au recours en récupération, il s’agit de démontrer qu’il a assumé la charge effective et constante de la personne handicapé.

Or ces notions peuvent prêter à discussion.

Et c’est ce qui s’est passé dans une affaire que la Cour de cassation a été amenée à trancher dans un arrêt du 26 janvier 2023. Il s’agissait d’un recours par un conseil départemental sur la succession d’une personne accidentée de la route, handicapée à vie, et qui avait perçu une aide de 270.654,47 € pour financer ses frais de séjour et d’hébergement en établissement spécialisé.

Le Département notifia donc à la sœur de la défunte, seule héritière, sa volonté de récupérer la somme sur l’héritage. L’héritière saisit les juridictions compétentes, soutenant qu’elle devait être dispensée en raison du soutien constant qu’elle avait apporté pendant le handicap de sa sœur, produisant pour cela plusieurs attestations et témoignages, entre autres du personnel soignant.

Mais en appel, la cour la débouta, donnant gain de cause au Département. Les Magistrats considéraient que son assistance relevait de l’attachement normal en famille, et de la loyauté qu’on se doit dans ce cadre.

 

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Toutefois, en cassation, la Haute Cour donne raison à la sœur, en confirmant un enseignement important :

La charge effective et constante s’entend d’un engagement régulier et personnel, qui peut être matériel, mais aussi moral et affectif.

Il en ressort que, dès lors que ce soutien psychologique et moral revêt une intensité et une durée suffisante, il sera recevable pour constater une charge effective et constante, même si la charge matérielle est assumée par l’établissement (que par ailleurs le Département avait réglé).

C’est une confirmation importante, car il faut noter que le contentieux de la récupération d’aide sociale a connu une profonde réforme procédurale avec la loi du 18 novembre 2016.

Auparavant, ce type de litiges relevait de juridictions spécialisées : Commissions centrales (ou départementales) d’aide sociale (CCAS ou CDAS). Ces formations avaient déjà interprété avec la même souplesse les dispositions de la loi en matière d’exonération contre le recours.

Mais avec la réforme de 2016, la compétence a entièrement basculé vers les juridictions de droit commun. La question était donc de savoir si les juges de l’ordre judiciaire adopteraient la même jurisprudence.

A priori, cela semble chose faite au vu de cette décision.

Cela étant, de nombreux cas seront toujours particuliers, des revirements ou des ajustements sont possibles en permanence. Pour vous guider parmi toutes ces questions en matière de successions, donations, assurances-vie, nos équipes spécialisées seront à votre écoute attentive.