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culture juridique pour tous

Les Piliers suisses, le divorce et le logement

Voilà bien une interrogation fréquente, dans nos régions économiquement dynamiques, et situées au carrefour de plusieurs pays.

Résidant en France et travaillant en Suisse, je suis ce que l’on appelle un frontalier.

Confronté à un droit du travail, une devise de paiement, et un système de retraite tous différents de ce que je connais en France, me voilà souvent placé face à un réel casse-tête :

  • quelles règles dois-je appliquer si je débloque une fraction de mon épargne professionnelle en Suisse, pour financer une opération immobilière que je mène en France ?
  • et si jamais mon conjoint et moi nous divorçons ? comment cette épargne, que j’ai constituée par mon travail et en vue de ma retraite, est-elle traitée dans le partage de nos biens ?

Face à ces questionnements, Maître Olivia Dobbs, notaire membre des services spécialisés en expertise internationale à La Manufacture Notaires, est forte d’une solide proximité avec les règles de la « Suisse Voisine », pour y avoir exercé localement son métier de notaire.

Aussi le présent article est de sa plume. Publié dans la presse locale, il expose les principales problématiques que notre frontalier aura rudement intérêt à anticiper.

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Présentation du système de retraite suisse

je suis professionnel dans la région frontalière.

A travers l’entreprise qui m’emploie, je cotise au système de retraite suisse.

Il est organisé selon un système d’assurances sociales coordonnées, dit des « 3 Piliers ».

Chaque pilier a un objet bien défini.

Sachant que toute personne exerçant en Suisse, ou domiciliée en Suisse, est soumise aux mêmes règles.

Mon régime de base, ou 1er pilier

C’est mon système de prévoyance obligatoire : retraite publique par répartition (les cotisations actuelles financent les pensions des retraités d’aujourd’hui).

Il se compose de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) et de l’assurance-invalidité (AI).

De ce fait, il est obligatoire pour toute personne travaillant en Suisse.

Le 2ème pilier ou système de prévoyance professionnelle par capitalisation

C’est mon régime complémentaire mixte, selon une forme inconnue en France.

Voyons-y l’équivalent d’un fond de pension en Francs suisses (CHF), alimenté par les charges salariales et patronales que versent le salarié et l’entreprise.

Ici, la cotisation est obligatoire pour les salariés à partir d’un âge et d’un salaire annuel minimum.

Mais les personnes qui ne remplissent pas ces conditions peuvent néanmoins constituer un deuxième pilier, à titre facultatif.

A ce stade, les rentes des 1er  et 2ème piliers peuvent couvrir jusqu’à 60 % du revenu antérieur. Les 40 % restants relèvent de la responsabilité individuelle.

Le 3ème pilier

Voilà mon système de retraite par capitalisation volontaire : il est facultatif,  ouvert à tous. Il se présente sous la forme d’un compte bancaire, ou sous la forme d’une assurance vie.

La branche 3a

Elle finance ma retraite de salarié ainsi ou de travailleur indépendant (dont les frontaliers).

je ne peux opérer de retrait en capital sur l’épargne que j’ai constitué, que lorsque certaines conditions sont réunies. On appelle ce mécanisme « prévoyance liée ».

La branche 3b

Elle, c’est vraiment ma prévoyance libre : elle est ouverte à tous, y compris aux personnes qui n’ont pas de revenu lucratif.

Là, je peux en disposer à tout moment.

Je peux aussi résilier à tout moment, et sans conséquence fiscale.

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photo : Hôtel Arbez

Et quand je veux acheter ma résidence principale ?

Chouette ! je peux débloquer une partie de mon 2ème et 3ème piliers, pour financer plus facilement l’achat de ma résidence principale.

Mais en revanche, je ne peux pas faire de même pour financer l’achat de ma résidence secondaire.

Car je retrouve là un aspect de la légendaire prudence suisse : débloquer son épargne retraite, c’est peut-être abdiquer aujourd’hui une partie de la couverture financière dont j’aurais bien eu besoin demain, sur mes vieux jours…

Un tel troc n’est donc admis que pour une dépense considérée, tout comme la prévoyance retraite, comme une légitime dépense vitale.

En revanche, acquérir une résidence secondaire est observé comme un luxe : je dois donc l’assumer, si je le souhaite, avec autre chose que mon pécule de substitution.

La cigale peut chanter tout l’été, seulement si, comme la fourmi, elle a pris soin de mettre de côté tout ce qu’il faudra quand la bise viendra !

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Donc, je peux obtenir un versement anticipé d’une partie de mon capital retraite suisse seulement pour acquérir mon logement principal.

Ou pour le rachat des crédits qui le grèvent.

Ou encore pour d’importants travaux de rénovation.

Et même si ce logement est situé en France ?

Oui ! pas d’exception géographique.

Par ailleurs, je peux aussi, et c’est bon à savoir, utiliser le capital comme garantie lors de l’achat immobilier, sans avoir à le débloquer.

Est-ce que je peux débloquer cette épargne au profit de quelqu’un d’autre (conjoint, enfants, parents,…) ?

Non ! Là encore, prudence helvète !

Si je veux bénéficier de ce versement anticipé, je dois devenir propriétaire, au moins en partie, du bien immobilier.

Il ne m’est donc pas possible de débloquer mon capital retraite pour une acquisition faite par mon conjoint seul. Mais nous achetons à deux, ça marche.

Et si le bien, plus tard, n’est plus mon logement ? Si je le revends ?

ou tout simplement si je le mets en location et que moi j’habite ailleurs ?

Alors je dois rembourser ma caisse de pension !

L’obligation de destination vers la seule résidence principale est très stricte.

Et attention : mettons que nous ayons acquis notre logement à deux, avec mon conjoint. Puis malheureusement, un jour, nous divorçons.

Eh bien si dans notre opérations de partage, notre ex résidence principale commune est attribuée à mon ex-conjoint, alors cela m’oblige aussi à restituer les sommes.

En revanche, dans le sens inverse : imaginons que moi, l’assuré, je souhaite financer le rachat de la part de mon ex-conjoint dans le logement. Alors je peux solliciter pour cela des fonds issus de mes piliers.

Et en pratique, comment procède-on, pour obtenir le versement des fonds ?

Je dois obtenir de la banque une attestation et un plan de financement.

Mon notaire français doit quant à lui établir une attestation entre l’avant-contrat et la vente.

Il y indiquera, sur ma déclaration, que je destine le bien à être ma résidence principale.

Ce document doit bien stipuler que les fonds en provenance du pilier seront utilisés pour financer le prix d’acquisition. Et aussi, qu’en cas de non-réalisation de la vente, les fonds seront restitués à la Caisse de pension !

A quels délais dois-je m’attendre, pour le déblocage de mes fonds ?

Ils sont variables.

Par conséquent, lors de la signature de l’avant-contrat, je dois prévoir des délais plus longs qu’usuellement pour l’obtention du financement. Il faut décaler d’autant la signature prévisionnelle de l’acte définitif.

Conseil : prévoyez l’impact de la fiscalité dans votre plan de financement. En Suisse, un impôt à la source est prélevé sur les fonds débloqués. Cette somme, une fois les avoirs déclarés et imposés en France, peut être récupérée.

Enfin, notons que certaines institutions de prévoyance exigent une hypothèque sur le bien immobilier à hauteur des fonds débloqués. Dans ce cas, il devient très difficile de financer les frais d’acquisition avec les liquidités retirées.

 

Nous avons parlé il y a un instant de divorce. Mettons que je n'ai encore jamais débloqué mon épargne accumulée. Quel est son sort si nous nous séparons mon conjoint et moi ?
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D’abord, lors de la liquidation du régime matrimonial, le professionnel qualifié établie les comptes afin de déterminer la valeur de la part devant revenir à chacun des époux (chiffrage des patrimoines, répartition des biens, indemnisation lorsqu’il y a eu enrichissement au détriment de l’autre…).

En France, s’agissant d’époux mariés sans contrat de mariage relevant du régime de la communauté légale, chacun reprend ses biens propres et les biens communs sont partagés par moitié.

Mais mes « piliers » sont-ils des biens communs, justement ?

Le droit français ne connaissant pas les institutions des 1er et 2ème piliers, celles-ci peuvent être comparées à un régime de prévoyance professionnelle obligatoire.

De ce fait, la Cour de Cassation les qualifie de biens propres.

En revanche attention : si en cours d’union, je retire par anticipation un capital de mon 2ème pilier, pour l’acquisition de ma résidence principale de l’assuré, ceci constitue alors un substitut de rémunération. Dès lors, conformément aux règles générales de la communauté (qui considère communs tous les revenus), ce capital entre en communauté.

Et sans compensation en ma faveur.

Seul le capital retiré du 2ème pilier par anticipation pendant le mariage, notamment lors de l’acquisition de la résidence principale, représente un substitut de rémunération, et entre en communauté.

Quant à lui, Le 3ème pilier pourrait être assimilé au régime français de retraite complémentaire facultative, constituée par un époux.

C’est une analyse incertaine, en l’absence de disposition expresse.

Mais si on la suit, alors le patrimoine commun doit bénéficier d’une compensation lors du divorce.

En effet, l’assuré est censé avoir utilisé des revenus, donc avoir pioché dans la caisse commune au cours du mariage, pour se constituer une cagnotte personnelle. Il faut donc remettre au pot partageable.

Mais le divorce ne concerne pas que le partage patrimonial. Il peut aussi déclencher une indemnisation compensatoire, si le séparation crée une rupture dans les niveaux de vie.
Les piliers suisse entrent-ils dans les critères à considérer ?

Oui.

Les prévoyances suisses entrent dans la fortune de chacun, donc dans les paramètres à prendre en compte pour calculer une éventuelle disparité de revenus entre les époux.

Partage de communauté et prestation compensatoire en France ; est-ce tout ?

Non. Car n’oublions pas que nous sommes par hypothèse à cheval entre deux pays.

Et ce ce fait, une fois le divorce prononcé en France, reste à le confronter à l’ordre juridique suisse, ce qui soulève d’importantes difficultés de chaque côté de la frontière.

En effet, les institutions de prévoyance n’effectuent le partage des avoirs suisses qu’en présence d’un jugement rendu par une juridiction suisse. Une seconde procédure pourrait donc être engagée en Suisse en cas de divorce en France.

En outre, les évolutions législatives se produisent dans chaque pays.

Notamment, la loi suisse a connu sur ce sujet une importante réforme il y a quelques années : depuis le 1er janvier 2017, l’article 122 du Code civil (CH) impose le partage par moitié de toute prestation de prévoyance professionnelle acquise durant le pariage.

Conseil : afin d'éviter que les avoirs ne soient partagés à la fois en France et en Suisse, remettant ainsi en cause des accords précédemment négociés, une certaine coordination devra être instaurée.

Frontaliers, quelle que soit votre situation matrimoniale, il faut vous faire conseiller, notamment en cas d’acquisition de votre résidence principale, ou en cas de divorce. Nos services dédiés à la planification patrimoniale à l’international seront à votre écoute.