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Droit de la famille
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Représentation successorale et rappel fiscal : friture sur la ligne ?

Bad news sur le front de la représentation successorale, ou plutôt de son traitement fiscal.

L’administration fiscale soutient, en matière d’application du barème progressif des droits de succession (DMTG) que lorsque l’héritier prioritaire est représenté par ses propres héritiers (parce qu’il a renoncé à l’héritage, ou qu’il est décédé avant de l’avoir recueilli), ceux-ci n’ont aucune « personnalité fiscale ».

C’est à dire que leurs règles d’imposition, quel que soit leur nombre et leur historique patrimonial avec le défunt, seraient, ni plus ni moins, strictement les mêmes que celles normalement applicables à l’héritier s’il avait hérité.

Ces représentants devraient donc subir la consommation antérieure des abattements et tranches basses du barème entamée par leur auteur, l’héritier « de droit ».

En clair ?

Cela signifie que selon le Fisc, si l’héritier avait déjà utilisé (lors d’une donation que lui avait consentie le défunt de son vivant) son abattement et les tranches favorables du barème, impossible pour les représentants de cet héritier de profiter à nouveau de ces tranches favorables, lorsqu’ils viennent à sa place recueillir l’héritage.

Et ce, alors même qu’en ce qui les concerne, ils n’ont recueilli aucune donation provenant du défunt.

Selon la position du Trésor Public, le fait pour l'héritier initial d'avoir "consommé" les tranches les plus faibles du barème d'imposition, à l'occasion d'une donation antérieure dont il a profité, vient réduire d'autant les tranches auxquelles auraient pu prétendre à titre personnel les représentants de cet héritier.

Or cette analyse défavorable semble aller à l’encontre de la volonté du législateur, qui depuis 17 ans a voulu favoriser les sauts générationnels, même dans les successions non anticipées.

Pour rappel en effet :

  • La réforme du 23 juin 2006 a totalement réformé le droit de la renonciation successorale, en prévoyant désormais que la part de l’héritier renonçant n’accroît plus celle de ses cohéritiers, mais profite à ses propres héritiers ;
  • Ces derniers, dans la mesure où ils ne viennent pas de leur chef à la succession de leur aïeul, sont fiscalement traités de la même manière que l’aurait été leur auteur s’il n’avait pas renoncé
  • = ils se partagent l’abattement dont il profitait, et connaissent le même barème de droits de mutation que ce dernier.

Pourtant, dans le cadre d’un contentieux, l’administration a en quelque sorte considéré que le barème des droits de succession ne faisait qu’un, entre le renonçant et ses représentants.

Prenons un exemple, pour bien saisir les enjeux.

Un grand-père décède.

Il laisse comme héritier son fils, qui renonce à l’héritage.

Les deux enfants de ce dernier, ses héritiers en ligne directe, héritent donc à sa place de leur grand-père.

Ce dernier, de son vivant et moins de 15 ans avant son décès, avait consenti à son fils une donation ayant abouti à consommer la totalité de l’abattement légal, et les tranches inférieures d’imposition.

  • Pour mémoire, ces tranches d’imposition s’étalent, lorsque le lien de parenté est en ligne directe, d’un taux minimum de 5% jusqu’à un maximum de 45 % (retrouvez ici le détail de ce barème).

Dans la déclaration de succession, les parts des petits-enfants sont taxées dès le 1er euro (puisqu’il n’y a plus d’abattement disponible, pas plus pour eux que ça n’aurait été pour leur père s’il avait hérité), mais en les faisant bénéficier de la totalité du barème progressif, en partant des tranches les plus basses, puisque eux n’ont jamais recueilli de donation de la part de défunt.

ça semble logique.

C’est pourtant ce dernier point qu’a contesté le Fisc : selon lui, les représentants supportent non seulement la consommation antérieure de l’abattement légal, mais aussi celle des tranches basses.

Si par exemple leur père, lorsqu’il a recueilli la donation du grand-père, a atteint la tranche à 20%, alors ils doivent eux-mêmes partir de ce taux, sans profiter des tranches à taux inférieur.

Ce qui apparaît plus que discutable,

puisque l’on sait :

  • Que l’exception est de très stricte interprétation en matière de règle fiscale,
  • Et que dans ce cas de la représentation successorale, le législateur n’a entendu prévoir que la division de l’abattement entre les représentants, aux termes de l’article 779-I du CGI

Il n’a jamais fait de même pour ce qui concerne les tranches d’imposition du barème, lesquelles devraient donc demeurer applicables personnellement à chaque héritier représentant.

Et ceci, nonobstant :

    • Leur nombre
    • La consommation antérieurement réalisée ou non de son propre barème par le renonçant.

Et qu’en ont pensé les juges saisis de ce contentieux ?

Le Tribunal Judiciaire de Paris, dans un jugement en date du 20 mai 2022, a décidé de suivre a position de l’administration.

Les juges ont estimé qu’il y avait une « solidarité d’application » entre les articles 777 et 779-I, dans le cadre d’une « économie générale » du dispositif… ce qui apparaît comme une extrapolation totalement contraire au principe d’interprétation stricte, ci-dessus rappelé.

C’est une analyse en 1er ressort : à voir ce qu’en penseront les juges d’appel, ou la Cour de cassation.

 

 

Dans l'attente, quel enseignement tirer de cette décision ?

La prudence.

Souvent sont formulés des conseils d’optimisation en matière de renonciation, par ailleurs judicieux dans la mesure où les enfants héritent aujourd’hui de plus en plus tard (en moyenne aujourd’hui en France, autour de 58-60 ans), donc à un moment où ils n’ont plus forcément besoin de cet héritage, alors que sa valeur sera fort utile à la génération 3.

Conseils d’autant plus indiqués qu’ils étaient fondés sur le raisonnement ci-dessus de personnalité des applications du barème.

Oui.

Et ces conseils trouvaient une pertinence et une compétitivité accrues auprès d’héritiers confrontés à des situations telles que :

  • Grand-parent qui décède,
  • Parent qui n’a nul besoin de ce patrimoine,
  • D’autant plus qu’il a reçu du grand parent une donation moins de 15 auparavant, ayant consommé totalement son abattement et l’ayant conduit dans des tranches supérieures d’imposition,
  • Son héritage serait donc frappé d’emblée à la TMI du barème (45% en ligne directe),
  • Alors qu’en renonçant, il permet aux petits-enfants de recueillir à parts égales entre eux cette fraction d’héritage, non seulement en redescendant la pression fiscale vers les tranches basse, mais en plus en démultipliant celles-ci par le nombre de petits-enfants.

Et maintenant ?

Il semble que pour l’instant, de telles préconisations s’exposent, jusqu’à plus ample informé, aux réactions ci-dessus de la part du Trésor public, même si la doctrine est vent debout contre cette interprétation aux contours larges et flous (1).

(1) pour aller plus loin, lire M. Nicolas, Droits de succession – Représentation successorale et rappel fiscal : pour une interprétation stricte de l’article 777 du CGI : JCP N, 24 mars 2023, 1058.
Cela ne signifie pas qu'il faut renoncer à renoncer !

En effet, les enjeux de la réflexion vont bien au delà de l’optimisation fiscale.

On ne renonce pas, ou pas seulement, pour que nos enfants héritent de nos parents en payant moins d’impôt que nous.

Mais on le fait :

  • pour des raisons de solidarité générationnelle (petits-enfants en besoin de financement alors que les parents sont installés)
  • pour des motifs de gestion et de développement économique (petits-enfants aptes à s’emparer de la gestion des biens de l’héritage, là où les parents n’en ont plus la volonté),
  • pour des raisons familiales de transmission anticipée (inutile de recueillir si l’on est déjà dans un dynamique de transfert).

Tous ces motifs demeurent parfaitement pertinents et décisifs, si l’on se situe dans l’un de ces points de vue. Le reste n’était que cerise sur le gâteau, dont l’application ou non est un plaisir ou un désagrément, mais pas une cause impulsive.

Même dans un environnement subi, la stratégie est possible !

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