Un critère qui conditionne tout
Droit de l'union européenne : enfin des précisions sur la notion de "résidence habituelle"
Depuis le début des années 2000, le droit européen, auparavant cantonné plutôt à la sphère publique, s’est peu à peu attaché à forger des règles applicables en matières de relations privées.
Elles s’imposent à tous les pays membres de l’UE (ou en tous cas un maximum d’entre eux).
Et elles portent sur des thèmes touchant à l’organisation des patrimoines ou à la situation personnelle des individus et des familles.
Qu’on en juge :
- Règlement UE du 27 novembre 2003 sur la compétence des juridictions en matière matrimoniale et de garde d’enfants (dit « Règlement Bruxelles II bis ») ;
- Règlement UE du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux contrats privés (dit « Règlement Rome I ») ;
- Règlement UE du 20 décembre 2010 sur la loi applicable au divorce (dit « Règlement Rome III ») ;
- Règlement UE du 4 juillet 2012 (dit « Règlement Successions ») sur la loi applicable aux successions ;
- Règlement UE du 24 juin 2016 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, et son frère jumeau sur la loi applicable aux partenariats enregistrés ;
- Projet de règlements afin d’unifier les règles applicables et les lois compétentes en matière de protection des adultes vulnérables, en matière de filiation, etc, etc..
Désormais, pour tous ces domaines, c’est le droit de l’UE qui énonce les règles déterminant quelle est la législation applicable, et quelles sont les juridictions compétentes pour traiter des éventuels litiges.
Or à ce sujet, on constate trois choses toutes simples :
- d’abord, dans toutes ces situations, il n’y a plus qu’un seul critère objectif pour définir cette loi applicable.
- ensuite, ce critère est toujours celui du l’Etat où se situe la « résidence habituelle » de la personne ou du couple concerné.
- enfin, et c’est un étrange paradoxe, aucun de ces règlements UE ne s’est risqué à définir la notion de « résidence habituelle » !
Est-ce si simple ?
Par exemple, la résidence habituelle ne se confond pas avec la résidence principale ; encore moins avec le domicile fiscal.
Des indices sont fournis par les règlements UE, nous indiquant que la notion répondra autant à des composantes intentionnelles que purement matérielles, chacune étant à observer et à soupeser. Mais aucune définition juridique claire, comme peut l’être par exemple celle de domicile dans la réglementation fiscale.
Pourtant je choisi bien où je fixe mon domicile ?
Oui, mais ce concept de domicile est une notion de droit, alors que celui de résidence habituelle reste une notion de pur fait : elle est tissée d’un ensemble de paramètres propres à la vie de chacun, censés orienter l’analyse pour retenir un seul pays compétent, au regard du maximum de facteurs décisifs.
En effet, je peux passer du temps avec ma famille dans un pays, étudier dans un autre, travailler dans un troisième, investir dans un quatrième, etc…
De ce fait, voilà une analyse qui peut nécessiter des investigations et des interprétations, donc être source de contentieux, notamment sur le point de savoir quels sont les paramètres les plus probants : car nombreuses aujourd’hui sont les situations de vie à cheval sur plusieurs pays, que ce soit pour des raisons professionnelles ou familiales. Pour celles-ci, démêler la volonté intime des personnes ne sera pas forcément évident, et certains pourront avoir intérêt à tirer dans un sens ou dans l’autre, pour attraire vers la législation qui leur semble la plus favorable.
Ils sont colossaux !
Car trancher en faveur de telle ou telle loi, ou telle juridiction compétente, c’est choisir le contenu de la réglementation, ou celui d’une autre, ! Et selon ce qu’elles prévoient, cela pourra déclencher des solutions très différentes de l’une à l’autre.
Là encore, des exemples ?
Prenons le cas des successions internationales :
je suis Français, et j’ai mis en place en France une belle donation au dernier vivant afin de protéger mon conjoint, et augmenter ses droits dans ma succession. Mais je réside habituellement en Italie. Et j’y meurs…
Loi italienne applicable à la succession ! Y compris d’ailleurs pour les biens que je pouvais détenir en France !
Or, la loi italienne prohibe les donations entre époux, qu’elle considère comme des contrats passés sur une succession non encore ouverte ! Le fait qu’elle ait été rédigée en France n’y change rien…
Sauf si l’on considère que le fait d’avoir utilisé en France cet outil typique du droit français qu’est la donation au dernier vivant, impliquait en réalité pour les époux le choix implicite de se rattacher à la loi française, prioritairement à la loi italienne. Mais si ça n’a pas été dit clairement, cela signifie qu’on commence à faire parler les morts : c’est très compliqué, ça devient source d’interprétations, et donc d’avis divergents !
Autre cas, le partenariat enregistré (le PACS ou ses équivalents) :
En loi française, le partenaire n’hérite pas de son conjoint, si un testament ne l’a pas prévu. Alors qu’en droit belge, la loi donne d’office, testament ou pas, une part de la succession au partenaire. Or, je peux vivre en France et avoir la loi belge compétente pour traiter de mon PACS, ou inversement.
Idem pour des parents qui doivent prendre des décisions sur des biens appartenant à leur enfant mineur :
Ils vivent en France, mais l’enfant en question passe une ou deux années d’études en Irlande. Le juge des tutelles français est-compétent ?
Aussi, face des situations parfois floues, quand les intéressés (époux, héritiers, cocontractants, etc…) ne parviennent pas à se mettre d’accord sur ce point, c’est aux juges de peser les intérêts en présence. On se souvient, par exemple, du cas très parlant de la succession de Johnny Hallyday, et du conflit ayant déchiré ses proches sur la loi à retenir…
L’objectif du droit européen, à savoir rechercher une règle claire, unique et prévisible pour tous les couples et citoyens géographiquement mobiles, se heurte donc ici à une faiblesse, touchant le pied de tout l’édifice.
C’est pour cela qu’il est urgent d’obtenir des compléments d’informations, venant éclairer peu à peu les composantes à retenir et à hiérarchiser pour forger une déduction.
Et à ce sujet, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 novembre 2022 (n° 21-15.988) est très précieux.
Que dit-il de particulier ?
Dans cette affaire, la Cour a eu à démêler la situation d’un couple qui partageait sa vie entre la Belgique et la France.
Quelle loi devait être retenue ?
Les juges ont observé que si les époux payaient leurs impôts en Belgique, et entretenaient avec ce pays des liens étroits sur le plan administratif (régime de prévoyance retraites, placements bancaires, sécurité sociale, immatriculation des véhicules, etc..), leur vie sociale était surtout en France, de par leurs investissements immobiliers et leur réseau amical et relationnel.
Comment ont-ils tranché ?
Bien sûr, il reste à confirmer que c’est une tendance lourde, et pas un cas d’espèce.
Mais c’est un choix de lecture qui apparaît quand même comme un signe important à prendre en compte, pour clarifier notre nécessaire interprétation d’un droit européen qui occupe désormais la plus large place dans le quotidien de tous, juristes ou non.
Beaucoup plus nombreuses que nous le pensons sont les situations où se croisent des dimensions internationales, qui vont un jour ou l’autre convoquer ces raisonnements :
- couples binationaux,
- lieu de travail dans un Etat différent du lieu de vie,
- enfants étudiants à l’étranger,
- vie de retraité dans un pays mais soins médicaux dans un autre,
- immigration,
- expatriation…
Nous ne le savons pas toujours, mais le droit de l’UE a parfois pris des décisions pour nous, qu’il peut être important de connaître, de comprendre, de maîtriser, et s’il le faut, de modifier.
Nos équipes de spécialistes dédiés au Droit International Privé sont là pour vous accompagner sur toutes ces pistes..